Interviews Prix Régine Deforges 2019

Lors de cette belle fête qu’était Lire à Limoges, les 3 et 4 mai 2019, j’ai eu la chance inouïe d’interviewer quatre des six auteurs qui étaient en lice pour le Prix 2019 et deux membres du jury du Prix. 

Léa Wiazemsky :

Il y a 4 ans, Léa Wiazemsky lançait, avec son frère et sa sœur, un Prix à la mémoire de sa mère, Régine Deforges.

Comédienne et romancière elle-même (son nouveau roman « Comme si tout recommençait », est paru aux éditions Michel Lafon), elle partage avec son frère et sa sœur 1 voix en tant que juré du Prix Régine Deforges ; un Prix qui, rappelons-le, récompense depuis 4 ans, un premier roman francophone, et qui est décerné à Limoges puisque Régine Deforges a vécu une partie de son enfance, notamment pendant la guerre, à Limoges.

« Un jury composé de gens qui aimaient et admiraient notre mère, des amis proches et des auteurs qu’elle appréciait beaucoup ».
« Quand elle était éditrice, notre mère aimait vraiment découvrir des auteurs, c’était sa passion. Lancer un premier roman, c’est quelque chose de fort ».

Pour la première fois, la délibération du jury a eu lieu le jour de l’annonce du lauréat lors d’une soirée à laquelle tous les auteurs en lice étaient présents.
« C’est une vraie surprise, c’est magique pour le gagnant. Joseph Ponthus était particulièrement heureux et ça nous a fait particulièrement plaisir. Je pense que maman aurait adoré son énergie, sa joie de vivre, sa poésie, cette envie de s’en sortir. »

Son critère de vote ? « l’émotion, et surtout le fait qu’on m’emmène ailleurs. La force de l’écriture aussi, mais surtout l’émotion. »

Un conseil d’écriture ? « D’abord avoir envie de raconter une histoire. Y aller. Écrire sans penser à l’éditer. »

Ce qu’on peut souhaiter au Prix Régine Deforges ? « Qu’il dure, qu’il soit encore plus mis en lumière, de plus en plus connu et populaire. Que la mémoire de notre mère perdure, qu’on n’oublie pas ; parce qu’elle a fait beaucoup pour les femmes, pour l’édition, pour les auteurs surtout, pour les droits d’auteur et pour la littérature. »

Enfin, un conseil pour découvrir Régine Deforges, l’écrivaine ? « Commencer par Le Cahier volé qui est pour moi un chef d’œuvre, puis La Révolte des nonnes qui est magnifique et bien sûr La Bicyclette bleue ».

Philippe Beyvin

Philippe Beyvin est l’un des auteurs dont le premier roman, « Les Photos d’un père », était en lice pour le Prix Régine Deforges 2019.
Mais alors, qu’est ce que ça fait d’être auteur ? Comment est-il passé à l’acte ? Quelle était l’idée de départ ? Autant de questions qui ont rythmé notre conversation dont je vous laisse découvrir le contenu.

« Je voulais écrire un livre qui capte l’esprit du 20eme siècle. Un roman, avec un personnage principal qui soit une figure héroïque. J’avais cette idée d’écrire un roman sur un photographe de guerre ; un roman qui raconte une petite histoire dans la grande Histoire. Pour le romanesque, j’ai décidé que le narrateur serait lié au héros (c’est son fils). Il y a donc 2 personnages qui vont traverser l’Histoire : le père et le fils, même s’ils ne se rencontreront jamais. »
Inspiré de la disparition d’une vingtaine de journalistes et photographes de guerre (et notamment Gilles Caron) au Cambodge dans les années 70, le premier roman de Philippe Beyvin est particulièrement émouvant, et notamment grâce à une dualité qui est dans le titre, « Les Photos d’un père : celles de lui et celles de son métier. »

Être sélectionné dans le Prix Régine Deforges ? « Ca fait plaisir ! » Au départ il y avait 84 titres, alors « je suis extrêmement heureux de faire partie des 8 finalistes ».

L’auteur, qui est aussi lecteur, a lu « À la ligne », un texte qu’il n’a « pas lâché ». Et qui lui a rappelé des souvenirs puisqu’il a lui-même effectué plus jeune un stage ouvrier dans une porcherie industrielle.
Le livre de Constance Joly, « Le Matin est un tigre », il l’a « beaucoup aimé aussi ».

Un souvenir de cette première expérience à Lire à Limoges ? « Le voyage en train avec Joseph Ponthus et Jacky Durand ; entre journaliste culinaire et bon vivant, on a parlé litterature et cuisine et c’était très sympa, c’était une bonne introduction au salon ».

Le mot de la fin : y aura-t-il un roman numéro 2 ? « oui, il est écrit et fini ».

Constance Joly

Dans l’édition depuis 20 ans, et coach littéraire depuis 5 ans, Constance Joly a toujours été aux côtés des auteurs pour les accompagner dans leurs textes.

Son premier roman, « Le Matin est un tigre », est un « événement de vie sur une épreuve que traversent des parents ».
Plutôt qu’un témoignage, « j’ai préféré investir la fiction et parler de cette épreuve difficile avec un enfant malade avec les armes qui sont les miennes : la littérature, la poésie, le rêve.
Un jour, la phrase « le matin est un tigre » est arrivée, comme une fulgurance ; j’ai écrit pour voir ce que ça pouvait donner et j’ai compris que j’écrivais sur cette histoire-là, elle s’est imposée à moi. Au fur et à mesure de l’écriture, j’ai compris ce que j’étais en train de faire. »

Son roman est une fiction inspirée de son histoire personnelle.
« Au fond, ce qui nous effraie le plus dans la vie, c’est peut être ce dont on a le plus besoin ». 

Éditrice/écrivaine, quelles différences ? « Je pense que c’est très différent. Ce qui est génial avec l’écriture, c’est que c’est le grand égalisateur, il n’y a pas d’expérience véritable qui vaille, on est tous débutants. Mon expérience de coach ne m’a pas servie comme auteur. J’aurais aimé que ce soit le cas, mais je crois que je suis allée à l’inverse de ce que je dis à mes auteurs ; j’ai avancé plus avec la poésie qu’avec les ressorts dramaturgiques ».

Sélectionnée pour le Prix Régine Deforges, ça fait quoi ? « C’est un immense honneur. Tout est du bonus pour moi. C’est un très très grand plaisir. Je me souviens de l’impertinence de Régine Deforges, de sa formidable audace comme éditrice, c’était une figure très inspirante ; aussi, j’ai été particulièrement fière d’être sélectionnée ».

Envie d’écrire un deuxième ? « Absolument ! Écrire « Le Matin est un tigre » m’a suffisamment donné confiance pour que je reprenne le premier roman que j’étais en train d’écrire avant de le laisser de côté. Je suis en train de le reprendre en espérant aller au bout ».

Et cette 1ere expérience à Lire à Limoges alors ? « Ça se passe très bien ! Je suis très contente de rencontrer des auteurs, des lecteurs ; je découvre tout, tout est une 1ère fois et vivre une 1ère fois à nos âges, c’est plutôt une super bonne nouvelle. Je suis très émue des personnes qui viennent me voir, me parler de mon roman ». 

Serge Joncour

La réputation de Serge Joncour n’est plus à faire et pourtant cet écrivain reste très accessible. Voilà plusieurs années que je le rencontre en Salon du Livre et, malgré le nombre de livres qu’il dédicace, il prend toujours le temps de discuter avec chacun.

Cette année, à Lire à Limoges, j’ai eu la chance de parler avec lui de son implication en tant que juré du Prix Régine Deforges (qui a récompensé, rappelons-le, « À la ligne » de Joseph Ponthus).

Membre du jury depuis 3 ans, être juré, c’est, selon lui, « définir très subjectivement un meilleur, une préférence ».
Mais, aux 7 autres qui étaient en lice, il rappelle que déjà, « être sélectionné, c’est en soi une récompense ».

Ce qui le fascine le plus avec les premiers romans, c’est « la façon dont le genre se renouvelle. Ouvrir un livre, c’est comme serrer la main à quelqu’un. Parfois au bout de 10 minutes on a envie que ça cesse, et parfois on a envie de dîner avec. »

Serge, qui a plusieurs fois dîné avec Régine Deforges, aime l’idée que Lire à Limoges soit « un salon plein d’énergie, de vitalité et de curiosité. Régine était un personnage. Elle est toujours présente et on pense ce livre en se demandant ce qu’elle en aurait pensé ». 
Pour Joseph Ponthus notamment, « je pense qu’elle l’aurait publié. C’est le Prix Régine Deforges, c’est un Prix qui doit lui ressembler. Joseph est un bon lauréat dans sa gaieté, dans son émotion ; c’est une belle personne ».

Et s’il avait un conseil à donner aux primo-romanciers ? « La seule chose qui peut rendre heureux un romancier, c’est d’avoir en tête d’être amoureux du suivant. Même si on est dans un Salon et qu’on parle de son livre, il faut avoir follement envie secrètement d’aller retrouver son manuscrit. C’est bien de penser très vite au prochain ».

Anne Hansen

Rédactrice, Anne Hansen a toujours écrit. Mais c’est grâce à un ami d’enfance qu’elle s’est lancée dans l’écriture d’un roman (merci à lui !).

Le déclencheur a été le choc des attentats du 13/11/2015 et « bizarrement c’est venu tout seul après, très vite, en 4 mois ».
L’environnement ? Le Monde dans lequel on vit et l’Entreprise. « Je connais bien l’entreprise mais cela aurait pu être un autre environnement. J’ai longtemps eu envie d’écrire autour de la courtisanerie à la cour du roi, par exemple ».

Très longtemps elle a été membre des représentants du personnel : « j’ai vu beaucoup d’hommes pleurer, beaucoup de gens souffrir, écrasés par l’ambition débordante à la hauteur de laquelle ils croyaient être et ça n’était pas le cas, et ils se retrouvaient laminés, écrabouillés, écrasés. »
« Massacre », c’est avant tout un focus sur ces rapports humains qui existent depuis la nuit des temps et qui existeront toujours manifestement. Anne Hansen a voulu « pointer un petit massacre parmi les grands massacres ». 

Et sinon, qu’est-ce que ça fait d’être sélectionnée dans le Prix Régine Deforges ? « C’est un grand bonheur !
Au fur et à mesure que j’ecrivais je mettais des choses que j’aime, je rendais des hommages. C’est tout à fait étonnant de se dire que tous ces sujets intéressent les gens, les touchent, les émeuvent. C’est chouette d’avoir été sélectionnée. Très très chouette. »

Son texte est noir, mais y a-t-il néanmoins une lueur d’espoir ? « C’est surtout pas un texte militant. C’est une peinture de choses qui nous entourent. Et ce qui est intéressant, c’est que, quel que soit le massacre, la vie continue. Les hommes, les femmes cherchent à revenir à la normalité. Continuellement. Ça peut être désespérant ou au contraire très porteur d’espoir. Pourquoi pas ? Après tout, la vie reprend. »

David Zukerman

Avec « San Perdido », paru aux éditions Calmann-Levy, David Zukerman est un primo-romancier heureux !

L’idée du livre remonte 25 ans en arrière. Un voyage en Afrique dans les années 90 qui l’avait bien marqué. Et un intérêt marqué pour les gros chantiers comme la construction du Canal du Panama (avant tout curieux, l’auteur est un « gros consommateur de documentaires en tous genres »). Enfin, l’idée de ce personnage, Yerbo, ce noir aux yeux très bleus avec une force surnaturelle dans les mains.

En mixant le tout, David Zukerman a choisi le Panama pour situer son intrigue. La ville de San Perdido est fictive mais « très précisément ancrée en Amérique centrale, au cœur d’une population métissée ». Dans une société fondée sur le patriarcat (« les hommes ont tous les droit et les femmes en ont assez peu en fait »), les femmes de ce roman ont « une capacité de résilience incroyable » ; elles se battent avec les moyens qu’elles ont pour exister.

Voilà l’ensemble des choses que voulait raconter l’auteur sous une forme romanesque. En se permettant des petites échappées vers le réalisme magique, et pourquoi pas une pointe de fantastique. « On est au 21eme siècle et je trouve que les choses quelque part n’ont pas changé ».

Et la sélection dans le Prix Régine Deforges ? « C’est une chance ! C’est un Prix très prestigieux ».

Votre état d’esprit en un mot ? « J’écrivais depuis très longtemps sans chercher à être publié. Aussi, j’étais stupéfait quand on m’a annoncé ma sélection. C’est extrêmement flatteur de savoir que votre roman a été proposé par un éditeur, lu et apprécié par des lecteurs. »

Toutes mes chroniques sont en ligne sur le blog (suivez les liens sur les noms des titres).

Retrouvez aussi mon interview du lauréat 2019 : Joseph Ponthus !

Belles lectures à toutes et à tous !

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