Interview glaçante de Nicolas Beuglet
Interviews©Bruno Lévy – Photo12.com
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Interview
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L’interview Carobookine : le rendez-vous incontournable pour vous lecteurs.
Chaque mois un auteur prend la parole et nous dévoile ses secrets d’écrivain.
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Nicolas Beuglet
«L’écriture est comme une partie d’échec avec moi-même»
Nicolas Beuglet a 42 ans. Après quinze années passées chez M6, il a choisi de se consacrer à l’écriture de scénarios et de romans. A l’occasion de la sortie de son deuxième roman, Le Cri, paru le 8/09/16 chez XO Editions, il me fait l’honneur de répondre à mes questions.
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Pour votre deuxième roman, Le Cri, vous dites vous être inspiré d’un fait réel : le projet MK Ultra, un programme de recherche scientifique secret américain.
Comment vous est venue l’idée d’écrire une fiction à partir de ce terrible sujet ?
Nicolas Beuglet : Le goût pour le secret (c’est mon pendant romancier) et mon obsession de la preuve (c’est mon passé de journaliste) ont été les déclencheurs.
Imaginez que pendant plus de 20 ans (des années 50 à 70) et à coups de millions de dollars fournis par la CIA, des militaires, des scientifiques et des bureaucrates ont conduit en secret des expériences insoutenables sur des humains non consentants. Par centaines et dans plusieurs pays, on les a drogués, torturés mentalement et physiquement jusqu’à des états qui dépassent l’entendement. Dans le but d’explorer le cerveau humain pour parvenir à le manipuler. Ca sonne comme un délire paranoïaque. Et pourtant c’est vrai. Personne n’a rien su jusqu’à ce qu’un article du NY Times révèle l’ampleur du scandale en 1970 et qu’une commission d’enquête parlementaire américaine soit nommée.
Au cours de ces interrogatoires dont je me suis procuré l’intégralité, plusieurs programmes de «Mind Kontrol» ont été avoués par des responsables de l’agence américaine. Mais on apprend aussi qu’avant la saisie des documents de travail par la justice, certains ont été détruits dans l’urgence. Si bien que la nature de nombreux projets MK-Ultra demeurent inconnue. Ce sont ces expériences «cachées» qui m’ont intéressé et qui ont fait écho à des peurs ou des questionnements personnels. Et en inventant le projet «488», je ne suis pas sûr d’avoir été plus «fou» que ceux qui ont réellement pratiqué ces épouvantables expérimentations.
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En incipit, vous citez Eduard Munch, rapport à son œuvre Le Cri.
Comment choisit-on d’intituler son roman du même titre que celui d’une œuvre mondialement connue ?
Nicolas Beuglet : Le livre est passé par plusieurs titres avant d’aboutir à celui-ci.
Mon titre de travail était «Patient 488». Mais le tableau de Munch et surtout l’état dans lequel Munch l’a peint (un état de peur panique, une sensation de vide incommensurable) définissent exactement ce que le Patient 488 a souffert avant de mourir. Cette peur originelle si puissante qu’elle tord notre réalité et nous dissout dans l’infini, à l’image du personnage du tableau dont la crispation ondulante se noie dans un paysage qui amorce une forme de spirale engloutissante.
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A la façon d’un page-turner, une fois ouvert, il est impossible de lâcher votre livre dont les rebondissements sont multiples.
De quelle astuce usez-vous pour nous rendre addict à votre intrigue ?
Nicolas Beuglet : Pas d’astuce, juste du désir.
L’écriture est comme une partie d’échec avec moi-même. J’échange régulièrement ma place d’auteur avec ma place de lecteur. Si j’ai envie de relire ce que je viens d’écrire, c’est que c’est bon. Si je ressens la moindre lassitude, j’arrête et je laisse venir l’inspiration jusqu’à ce que l’excitation de la narration me reprenne. Je n’écris jamais une ligne tant que le désir de l’écrire n’est pas là. C’est peut-être cela qui transpire dans la narration : ma propre envie de désirer mon histoire.
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Sarah est une vraie professionnelle, son métier est sa passion. Et même au-delà.
Comment l’avez-vous «conçue» ?
Nicolas Beuglet : Sarah est une femme à double visage.
Dans sa vie de couple et de famille, elle fait preuve d’humour, de dérision, de décalage et de beaucoup de douceur. Mais lorsqu’elle travaille, elle est froide, taiseuse. Et pour une bonne raison : elle considère qu’elle doit tout aux victimes de ses enquêtes. Et «tout», ça veut dire : toute sa concentration, toute son énergie. Elle parle seulement quand il le faut, ne copine avec personne, ne plaisante jamais sur une scène de crime et fait preuve d’une cinglante exigence à l’égard de ses collaborateurs s’ils ne donnent pas le meilleur d’eux-mêmes.
Bref, je voulais une femme à l’opposé du flic cool et blagueur ou du désabusé, blasé qui a tout vu (archétype que je n’aime pas). La femme flic qu’on aimerait avoir sur une enquête qui nous concerne. Ce que Christopher va avoir la chance de vivre…
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Christopher est l’archétype de Monsieur Tout-le-Monde. Et pourtant, lorsque ses proches sont en danger, il se retrouve dans des situations improbables et se surprend à se surpasser.
A-t-on tous une part cachée de nous-mêmes qui ne demande qu’à émerger lorsque notre vie (ou celle de nos proches) est en danger ?
Nicolas Beuglet : C’est le genre de questions à laquelle on peut répondre de façon certaine et à l’affirmative quand on a des enfants. En tout cas il me semble.
Et dans le cas de Christopher, son action est, je trouve, d’autant plus émouvante, que Simon n’est pas son fils biologique mais celui de son frère récemment décédé dans un accident de voiture. A ce titre, c’est un double héros à mes yeux : parce qu’il va tout faire pour sauver Simon mais aussi parce qu’avant le drame, il a renoncé à sa vie tranquille de célibataire pour adopter son neveu et tenter de devenir un père pour lui. Et ça c’est quelque chose qui va toucher Sarah. Plus qu’elle ne l’imaginait…
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Vous êtes scénariste et romancier.
Quelle est la principale différence entre écrire un scénario et écrire un roman ?
Nicolas Beuglet : Il y en a une technique et une autre commerciale.
Techniquement : dans l’écriture d’un roman rien n’existe sans vous. RIEN. Vous avez donc l’obligation de tout savoir, tout connaître de votre personnage jusqu’aux moindres détails de son enfance, de ses défauts, ses tics… Et même si vous ne révélez pas le quart de ce que vous savez sur lui, cela guide et rend cohérent chacune de ses actions dans votre écriture. Cela lui donne de la profondeur entre les lignes, une existence palpable qui vous permet d’y croire vous et bien évidemment le lecteur. Au final, le sentiment d’accomplissement est bien plus puissant dans l’écriture de romans que dans le scénario.
Dans un scénario : les acteurs, la musique, la mise en scène peuvent soutenir votre narration. Et puis pour être très trivial, dans l’écriture scénaristique, on a toujours un œil sur le budget de chaque scène. Dans un roman, tout est «gratuit», la liberté est totale.
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Quel a été le moment le plus décisif dans votre parcours d’écrivain ?
Nicolas Beuglet : Créativement parlant, je crois que c’est le jour où j’étais seul face à un lac et qu’une hypothèse m’a traversé l’esprit : et si on trouvait un crâne humain dont l’âge remonte à une époque où l’espèce humaine n’existait pas encore ? Cela a donné mon premier livre : Le Premier Crâne (sous le pseudo de Nicolas Sker).
Concrètement parlant, c’est lorsque j’ai pu publier l’histoire qui est née de cette interrogation. Cela m’a confirmé que je pouvais inviter des gens à entrer dans mon univers et m’a donné l’opportunité d’écrire un second livre. Et enfin ma rencontre avec XO qui est, je crois, l’éditeur, dont tous les auteurs doivent rêver.
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Dans le dossier de presse joint au service de presse reçu, vous dites avoir failli ne pas écrire Le Cri tant vous aviez peur de ce que vous alliez y explorer.
De quoi aviez-vous peur exactement ? Et, qu’est-ce qui vous a finalement décidé à vous lancer ?
Nicolas Beuglet : Il y a une dizaine d’années, j’ai vécu une période de dépression qui s’est parfois manifestée par des états de déréalisation que je ne souhaite à personne. En gros, vous perdez le sens de tout, vous sentez au fond de vous que ça sera pour toujours et que vous ne pourrez pas vivre comme ça. C’est une peur métaphysique qui vous confronte à des questionnements auxquels l’humain n’est pas fait pour répondre. Et pourtant c’est en vous. Heureusement, ces états ont fini par disparaître. Mais ils ont laissé des cicatrices que l’on craint de rouvrir.
Lorsque j’ai eu l’idée du Cri, je savais que j’allais me confronter à ces questions et que j’allais m’y confronter avec la prétention de fournir une réponse. Allais-je sombrer de nouveau ? Allais-je parvenir à aller jusqu’au bout.
Ce qui m’a finalement décidé, c’est la rencontre avec ma femme et la naissance de nos enfants. Qui comme je le dis en remerciements donnent du sens à ce qui n’en a pas.
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Dans Le Cri, la religion est au cœur des relations humaines. Vos protagonistes poussent des recherches à l’extrême pour prouver l’existence de la vie après la mort.
Dans une autre vie, en qui/quoi aimeriez-vous être réincarné ?
Nicolas Beuglet : En fait je me demanderais plus qu’elles ont été mes autres vies par le passé et j’ai une grande attirance pour la Grèce antique.
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Pour résoudre son enquête, Sarah voyagera à travers le Monde.
Dans quel pays rêveriez-vous de voyager ?
Nicolas Beuglet : L’Amazonie, à pied.
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Nicolas Beuglet : « Timshel » (voir réponse suivante)
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Vous qui êtes écrivain, vous arrive-t-il de lire d’autres auteurs ?
Nicolas Beuglet : Je suis un grand lecteur d’essais, de biographies. Je dévore surtout des documents et des essais sur les grandes questions scientifiques, religieuses, philosophiques. Encore une fois, la plupart de ces ouvrages renvoient au sujet des origines et de l’après : où et comment sont nées les religions, quelle est la signification philosophique des mythes grecs, que sait-on vraiment de la naissance de la vie, où en sommes-nous du décryptage du fonctionnement du cerveau humain, l’âme existe-t-elle et survit-elle à la mort du corps ?
Tous mes livres sont annotés, cornés, gribouillés, commentés…
Côté littérature, je lis Zola, Dostoïevski mais aussi Steinbeck dont le souffle romanesque m’a transmis le goût de l’écriture. A l’est d’Eden m’a glacé de peur et les derniers mots que le père souffle à son fils avant de mourir me bouleversent encore. Mobilisant ses ultimes forces, il lui dit : «Timshel». En hébreux, cela signifie «Tu peux» : tu peux dépasser le mal qu’il y a en toi pour devenir quelqu’un de bien !
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Quel livre lisez-vous en ce moment ?
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Nicolas Beuglet : Je relis des passages de la Bible, du Coran, un ouvrage sur la naissance de l’agriculture au néolithique et un autre sur la folle entreprise de Michel-Ange et la chapelle Sixtine.
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Quel est votre dernier coup de cœur ?
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Nicolas Beuglet : La série de Luc Ferry sur la Mythologie Grecque. D’une richesse inouie tout en étant d’un accès si facile qu’on se sent plus intelligent à chaque page et plus heureux après chaque ouvrage. C’est brillant : réconciliation parfaite de la culture et du plaisir.
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Question bonus : l’interview Carobookine, c’est chaque mois un nouvel auteur qui prend la parole : un cercle d’intimes pour les abonnés Carobookine.
Vous avez joué le jeu des confidences (merci !). Maintenant c’est à vous de choisir qui vous souhaitez nous faire connaitre mieux. Alors, à qui passez-vous le relais ? Quel sera le prochain à nous dévoiler ses secrets d’écrivain ?
Nicolas Beuglet : Je vous propose de découvrir un auteur qui creuse un sillon passionnant dans le roman historico-scientifique : Samuel Delage, auteur du récent Cabale Pyramidion et du plus ancien Code Salamandre qui vous révèle toute une série d’anecdotes passionnantes sur François 1er et Chambord. En plus, c’est un type très ouvert et très sympa. A vous de le travailler au corps pour qu’il vous révèle ce qu’il ne dit pas ailleurs 😉
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Nicolas, je vous remercie chaleureusement pour votre gentillesse et le temps que vous avez bien voulu m’accorder. Merci d’avoir joué le jeu des confidences.
A bientôt,
Nicolas Beuglet : Merci à vous Caroline. Et heureuse continuation dans votre belle entreprise !
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A propos de l’auteur :
Nicolas Beuglet est scénariste, et l’auteur du thriller Le Cri, qui est son deuxième roman.
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Retrouvez ma chronique du Cri
Présentation du roman chez XO Editions
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