
Le Chagrin des vivants – Anna Hope
Coup de coeurAuteur : Anna Hope
Traduit de l’anglais par Elodie Leplat
Genre : Premier roman
Nombre de pages : 400
Editeur : Gallimard (25 janvier 2016)
7 novembre 1920. A quelques jours de la cérémonie d’hommage aux victimes qui doit se dérouler à Londres le 11/11, trois femmes nous émeuvent :
- Ada, la cinquantaine, dont le fils est porté disparu sur un champ de bataille française depuis 1917 et qui pourtant croit encore l’apercevoir parfois dans la rue,
- Evelyn, à 30 ans, travaille au Bureau des pensions de l’Armée mais elle ne s’est toujours pas remise de la mort de son fiancé, alors que son frère lui est revenu,
- et Hettie, 19 ans, qui danse tous les soirs avec d’anciens soldats sur la piste du Hammersmith Palais et dont la paie est à moitié reversée pour subvenir aux besoins de sa mère et de son frère (devenu absent depuis son retour de France).
Le Chagrin des vivants retrace sur cinq jours le destin de ces femmes qui représentent les émotions de tout un peuple.
Le Chagrin des vivants est le roman de la sélection du mois d’octobre dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE.
Parfois, le destin fait bien les choses. Je lis ce livre alors que nous sommes en octobre et, comme l’histoire se déroule sur les premiers jours de novembre, je verrai cette année le 11/11 différemment.
L’auteur, Anna Hope, a choisi un sujet délicat pour l’écriture de son premier roman et un titre dont les mots sonnent juste. Dans son livre, il n’est pas question des atrocités de la 1ère guerre mondiale (pas directement en tout cas), mais de la difficulté à continuer à vivre après ce que tous ont vécu : les anciens soldats revenus du front ayant été changés à jamais ont du mal à retrouver leur place à leur retour au pays, les femmes elles ont soit du mal à faire leur deuil, soit du mal à réapprendre à vivre avec un homme qu’elles ne reconnaissent plus.
Nous sommes en Angleterre (c’est important de le préciser) et ici, Anna, Evelyn et Hettie sont une mère, une fiancée et une sœur qui ne se connaissent pas entre elles mais qui pourraient être toutes les mères, fiancées ou sœurs de la nation. Elles ont un point commun : celui d’avoir vécu la guerre comme un drame personnel.
Malgré ses 25 ans de mariage et son mari aimant et travailleur, Anna est tellement rongée de ne pas savoir ce qui est arrivé à son garçon qu’elle ne voit même plus son mari. Elle essaie de se raisonner, mais la communication est rompue, son couple est à l’abandon.
Evelyn est issue d’une famille aisée, elle n’aurait pas besoin de travailler mais elle le fait quand même. Sa vie s’est arrêtée depuis la mort de son amoureux et elle compense son absence en travaillant au Bureau des Pensions, espérant se rendre utile mais surtout entendre ce que les anciens soldats ont à lui raconter (confier ?). D’autant qu’elle ne comprend plus son frère, qui était le Capitaine Montfort, et qui est bien revenu de la guerre, mais qu’a-t-il donc bien pu y faire/voir de si terrible ?
Hettie est la plus jeune, elle est pleine de vie, elle aime danser et elle aime le jazz. Mais le regard morne et triste des anciens soldats l’empêche de vivre comme elle l’entend.
La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas tous passer à autre chose, bon sang ?
Ces trois femmes sont bouleversantes car, au-delà de leur chagrin, on accède à leur intimité. Alors, le jour de la commémoration, elles sont, physiquement ou par la pensée, parmi la foule, venue en nombre pour rendre hommage au soldat inconnu. Chaque femme voit son mari, chaque mère voit son fils, chaque sœur voit son frère, et chacune vit cette cérémonie comme une étape pour aller de l’avant, relever la tête et vivre.
Le Chagrin des vivants est un roman fin et sensible comme je n’en avais pas lu depuis longtemps. La plume d’Anna Hope est maitrisée avec précision et délicatesse. La traduction est très juste. Les mots choisis vous interpellent, ils font naitre des sentiments qui vous procurent beaucoup d’émotion. Ces héroïnes sont des battantes, des femmes qui vont puiser dans leurs forces au plus profond d’elles-mêmes pour vous livrer leur histoire.
Je me suis notée de nombreuses phrases que je voudrais garder en mémoire mais je ne vous livrerai que cet extrait, entre Evelyn et son frère, qui donne bien le ton du roman :
– Quoi qu’on puisse en penser ou en dire, l’Angleterre n’a pas gagné cette guerre. Et l’Allemagne ne l’aurait pas gagnée non plus.
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– C’est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours.
Il trace un cercle en l’air avec sa cigarette : c’est comme s’il dessinait l’ensemble des guerres, si innombrables soient-elles, l’ensemble des guerres passées et l’ensemble des guerres à venir.
– C’est la guerre qui gagne, répète-t-il amèrement, et celui qui ne partage pas cet avis est un imbécile.
Pour conclure, malgré un le sujet douloureux du livre, Le Chagrin des vivants est un roman qui m’a beaucoup plu. L’histoire, les personnages et la plume d’Anna Hope m’ont questionnée et émue. Je m’en souviendrai longtemps.
Anna Hope, je vous remercie !
.Présentation du roman chez Gallimard
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Découvrez l’interview d’Anna Hope par Telerama : Dans Le Chagrin des vivants, je voulais montrer les sentiments qui animent les femmes
Je n’en ai aimé que les dernières cinquante pages.
Ha zut, et bien comme quoi chacun ses goûts !
Moi je l’ai trouvé remarquable 😉
On se rejoindra peut-être sur un autre titre, qui sait ?
J’avais déjà très envie de le lire et ton billet renforce mon opinion ! Merci !
Tant mieux, il faut absolument le découvrir celui-ci !