Interview Yasmina Khadra
Interviews . Mes petits +Interview
Photo prise avec les élèves du Lycée Français d’Alicante (Espagne), fournie par l’auteur.
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L’interview Carobookine : le rendez-vous incontournable pour vous lecteurs.
Chaque mois un auteur prend la parole et nous dévoile ses secrets d’écrivain.
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Yasmina Khadra
«N’est jamais seul celui qui marche vers la lumière»
Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, est l’auteur de la célèbre trilogie contenant Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat (prix des Libraires) et Les Sirènes de Bagdad, vendue à des millions d’exemplaires. Ses titres Morituri, Ce que le jour doit à la nuit (meilleur livre de l’année 2008 pour le magazine Lire et prix France Télévisions) et L’Attentat ont été adaptés au cinéma. Les hirondelles de Kaboul fera l’objet d’un film d’animation (réalisé par Zabou Breitman) et d’un opéra lyrique en Italie.
Son dernier roman, La dernière nuit du Raïs, a bénéficié d’une sortie mondiale. Il a paru en septembre-octobre 2015 dans 10 pays, traduit en 8 langues. Une adaptation théâtrale est prévue en Italie.
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Invité à Mulhouse pour une conférence organisée par la
j’ai eu la chance de le rencontrer.
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Officier dans l’armée algérienne pendant 36 ans, comment êtes-vous devenu écrivain ?
Yasmina Khadra : J’ai commencé à écrire très jeune, à 11 ans. J’étais dans l’armée, et toute ma vie je n’ai jamais renoncé à cette vocation. Je suis né avec cette fascination pour le verbe et un goût immodéré pour la poésie et la littérature. Je suis venu au monde pour écrire. Le destin a voulu que mon père m’envoie dans un lycée militaire à 9 ans.
J’ai commencé à écrire sous mon vrai nom, des textes sans prétention. L’armée ne m’a jamais interdit d’écrire mais elle a tout fait pour que j’y renonce.
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Yasmina Khadra est un pseudonyme composé des deux prénoms de votre femme. D’où vous est venue cette idée ?
Yasmina Khadra : C’est vrai que pour un arabe, prendre un pseudonyme féminin, c’est peu commun. Mais en 1988 j’ai été soumis à un comité de censure militaire. Écœuré, j’avais décidé d’arrêter d’écrire. Sans le soutien indéfectible de mon épouse, je n’aurais pas eu le courage de transgresser le règlement des armées. Mon épouse savait que sans l’écriture, j’étais voué au chagrin et à la colère. Elle m’a suggéré d’opter pour un pseudonyme. Lequel ? Elle a eu cette phrase cosmique : «Tu m’as donné ton nom pour la vie, je te donne le mien pour la postérité».
Ainsi est né d’abord le «commissaire Llob». Ensuite, j’ai continué d’écrire dans la clandestinité pendant 11 années.
Pour l’anecdote, les deux prénoms de mon épouse sont : Yamina et Khadra. C’est mon premier éditeur français de l’époque, croyant que pour un texte venant d’Algérie il devait y avoir forcément une faute, qui a a ajouté un «s».
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Comment vous est venue l’idée d’effectuer cette plongée vertigineuse dans la tête de Kadhafi, tyran sanguinaire et mégalomane (héros de votre dernier roman) ?
Yasmina Khadra : Depuis tout petit je rêvais d’écrire mon Roi Lear, mon Antigone.
J’ai cherché très longtemps à créer un personnage tragique mais aucun ne m’a convaincu.
Finalement, je me suis dit que mon personnage existait véritablement et j’avais peut-être une légitimité à le raconter. Kadhafi s’est installé dans ma tête depuis son lynchage. Une scène d’une atrocité absolue. La victime et le bourreau se rejoignaient dans la barbarie. Dans ce règlement de compte expéditif, Kadhafi n’a pas eu droit à un procès. On lui avait confisqué la parole. Dans mon roman, j’ai tenté de la lui restituer.
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Qui était véritablement Kadhafi ?
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Yasmina Khadra : Kadhafi est un personnage qui a marqué son époque. Enfant misérable perdu dans le désert du Fezzan, dans une tribu dépréciée par les autres tribus, Kadhafi a été le premier garçon à aller à l’école. C’est dire le dénuement qui a été le sien. Très jeune, il a subi le choc des rangs sociaux, le complexe du pauvre. Il a travaillé dur pour se donner une contenance dans un milieu hostile. Une fois officier, il a continué de subir le mépris des autres officiers à cause de ses origines bédouines. Son coup d’état conte le roi Idriss 1er était surtout une rébellion contre son propre statut d’intouchable. Devenu souverain absolu, il a cherché une place de choix dans le cercle des puissants de ce monde. Dans cette quête déraisonnable, il s’est construit un personnage trop grand pour lui qui a fini par le dévorer cru.
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Dans votre livre il est en admiration devant Van Gogh. Kadhafi l’aimait-il vraiment ?
Yasmina Khadra : C’est une intrusion artistique de ma part. Je ne pense pas que Khadafi ait aimé ou ait été charmé par la peinture contemporaine. Van Gogh, dans mon roman, est une ligne rouge qui va donner à la chute de l’histoire une portée symbolique.
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Alors, finalement, Kadhafi : dictateur, mégalo ou père de la Révolution ?
Yasmina Khadra : Les trois à la fois. Mais c’est d’abord le poète raté qui a engendré les deux autres.
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Pensez-vous et écrivez-vous en français ?
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Yasmina Khadra : Je suis arabisant de formation, j’ai fait toutes mes études en arabe, mais j’ai un rapport émotionnel, affectif avec la langue française. Pour moi, la pensée est d’abord une réaction chimique. L’écriture et la parole sont ses outils de finition. La langue française m’a beaucoup apporté. J’essaye de la mériter davantage.
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Quand on a écrit L’Attentat, comment vit-on les attentats survenus en France en 2015 ? Êtes-vous confiant en l’avenir ?
Yasmina Khadra : Je sais une chose : la barbarie est faite pour être vaincue. Toute l’histoire de l’humanité nous le prouve à travers les âges. L’Humanité saura toujours survivre aux cataclysmes qu’elle provoque, qu’ils soient politiques, idéologiques ou religieux.
La vie est un combat de tous les jours.
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Si vous n’aviez pas été Yasmina Khadra, quel auteur auriez-vous aimé être ?
Yasmina Khadra : Avant oui peut-être, j’aurais aimé être Joseph Kessel ou John Steinbeck. Mais maintenant je suis très fier de ce que j’ai fait, de qui je suis. J’ai réintégré mon élément, je suis heureux.
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Yasmina Khadra : «N’est jamais seul celui qui marche vers la lumière», c’est ce qui me donne la force de faire face à l’adversité.
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Vous qui êtes écrivain, vous arrive-t-il de lire d’autres auteurs ?
Yasmina Khadra : J’aime lire tout ce qui me tombe entre les mains. J’apprécie particulièrement la littérature russe.
Je pense à un jeune écrivain, Laurent Binet, qui m’a beaucoup touché avec son livre HHhH (acronyme pour Himmlers Hirn heißt Heydrich, signifiant le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich – aux éditions Grasset). Je suis convaincu que c’est un futur grand écrivain.
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Quel livre lisez-vous en ce moment ?
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Yasmina Khadra : Prières exaucées de Truman Capote, j’aime beaucoup cet auteur.
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Yasmina Khadra, je vous remercie pour votre gentillesse et le temps précieux que vous avez bien voulu m’accorder.
A très bientôt,
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J’ai rencontré Yasmina Khadra en janvier 2016
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Yasmina Khadra a un site officiel.
Retrouvez ma chronique sur La dernière nuit du Raïs ici
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4 comments
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Très bon interview, merci ! L’optimisme de cet auteur extraordinaire fait chaud au coeur.
Merci Adeline ! Yasmina Khadra est un homme bon, c’était un vrai plaisir de le rencontrer.
Magnifique Interview ! félicitations et merci !
Merci ! Quelle chance j’ai eue !