Interview joyeuse depuis l’île de Groix – Lorraine Fouchet
InterviewsInterview joyeuse et unique
.
L’interview Carobookine : le rendez-vous incontournable pour vous lecteurs.
Chaque mois un auteur prend la parole et nous dévoile ses secrets d’écrivain.
.
Lorraine Fouchet
«La vie est trop courte pour être petite»
Urgentiste au SAMU et à SOS Médecins avant de se consacrer à l’écriture,
Lorraine Fouchet vit entre Paris et l’île de Groix.
Seize romans déjà publiés à l’heure où vient de paraître Entre ciel et Lou
qui fait virevolter les sentiments humains et les embruns.
Elle nous en dit plus sur Carobookine !
.
Après une carrière de médecin aux quatre coins du monde, à quarante ans, vous avez décidé de vous consacrer à l’écriture. Vous dites «C’était une question de vie ou de mort, c’est devenu une question de vie et de mots…».
Lorraine Fouchet, comment devient-on écrivain ? Quel a été le déclic ?
Lorraine Fouchet : Je suis fille unique, alors quand j’étais petite, en rentrant de l’école, je lisais Le Club des cinq ou Le Clan des sept et quand j’avais terminé ma lecture, j’écrivais la suite.
Mon père était diplomate et homme politique, ses amis venaient souvent à la maison, ils s’appelaient André Malraux, André Maurois et François Mauriac. Il me parlait aussi beaucoup d’un ami disparu : Antoine de Saint-Exupéry. Je me disais que quand je serai grande, j’écrirai des livres.
Mais avant tout il me fallait un métier. Je me suis d’abord inscrite en Droit. Puis, au décès de mon père, j’ai décidé de faire médecine pour exercer selon ses propres mots «le plus beau métier du monde». J’ai été urgentiste et j’ai travaillé à SOS médecins pendant des années. Et, l’année de mes 40 ans, j’ai rédigé le certificat de décès de Marguerite Duras, une femme exceptionnelle qui toute sa vie s’est battue pour ses choix. Ce jour-là je me suis dit que désormais j’avais envie de faire ce qui me faisait rêver depuis toujours : écrire.
On a tous une chose pour laquelle on est fait. Certains sont faits pour aimer, d’autres pour créer, d’autres encore les deux à la fois. Moi plus j’invente des histoires, plus ça me rend heureuse. Je raconte ce que je vois, mes personnages de papier sont mes copains d’écriture. En écrivant Entre ciel et Lou j’ai passé une merveilleuse année à partir chaque matin sur l’île de Groix, que j’ai dans mon cœur.
.
Au travers des yeux de Pomme, vous décrivez la vie sur l’île de Groix comme une vie simple et paisible menée au gré du vent, des mouettes et des marées.
Pensez-vous que vivre sur une île vous isole, ou d’une certaine façon vous protège du rythme effréné de la vie quotidienne d’aujourd’hui ? Est-ce un refuge ?
Lorraine Fouchet : L’île de Groix n’est pas hors du temps en ce sens que l’île est à la fois traditionnelle et moderne. Il y a des personnes qui ne sont pas à l’aise sur une ile, moi si, je m’y sens protégée. Ce qui me plait, ce sont les gens de la Grande Terre (ceux du continent) qui arrivent le matin par bateau et repartent en fin de journée. Seuls les Groisillons restent. Où que vous habitiez sur l’île, vous entendez toujours la corne du bateau arriver ou repartir. Dans cette île, il y a un concentré de solidarité, les gens s’entraident, ils s’épaulent. Les Groisillons sont fiers et nobles, c’est grâce à leur combat pendant des siècles pour faire vivre leur île, que j’ai la chance de venir à Groix (et ce depuis 13 ans). Je les remercie.
.
Lou n’est pas bonne cuisinière, et pourtant tout au long du livre vous parlez de gastronomie conviviale (cuisine familiale, moment de partage entre amis, recettes traditionnelles bretonnes et même italiennes).
Aimez-vous cuisiner ?
Lorraine Fouchet : Je suis aussi nulle que Lou en cuisine. Je déteste cuisiner mais j’adore manger, je suis une grande gourmande. Le seul plat que je sais faire c’est un soufflé au fromage. Je suis à la lettre la recette d’un livre de cuisine que mes amis m’avaient offert pour mes 18 ans (qui est tout tâché depuis).
Vous savez la «bande du 7» du roman existe vraiment, tout le monde cuisine très bien sauf moi (Martine fait son superbe gâteau magique et moi je suis toujours celle qui apporte des bonbons ou guimauves).
.
Dans Entre ciel et Lou, il est souvent question de musique.
Quel rôle joue la musique dans votre vie ? Jouez-vous vous-même d’un instrument ? Si oui, lequel ?
Lorraine Fouchet : J’ai commencé à apprendre le saxophone il y a 2 ans et, comme Pomme, je pensais qu’il suffisait d’apprendre à jouer (comme on apprend à taper sur les touches d’un piano par exemple). Or, le plus difficile est de savoir souffler, cela demande beaucoup de technique. D’autant que quand on apprend adulte on se pose beaucoup trop de questions.
Pendant un an j’ai insisté, avec mon saxophone acheté d’occasion, tout cabossé, j’ai réussi à jouer Danny boy ou Amazing grace mais jouer me cassait la voix alors j’ai arrêté. Et cela me manque vraiment.
Dans mes quatre derniers romans j’ai ajouté en fin de roman la playlist qui m’a accompagnée pendant l’écriture. J’ai découvert la grande musique lorsque j’ai écrit La mélodie des jours, j’écoutais alors beaucoup de musique classique. Musique, livres, cinéma, humains, animaux, mer et écriture sont sept petits bonheurs qui me sont indispensables.
.
J’ai particulièrement aimé la scène de la baignade du 2 janvier. Jo dit «On se tient par les épaules en claquant des dents. Je me sens vide sans toi, mais cailler en bande me réchauffe.»
Est-ce une tradition à laquelle vous avez déjà participé ?
Lorraine Fouchet : Mais oui bien sûr, j’y ai déjà participé ! Des tas d’amis Groisillons se baignent toute l’année. Moi aussi je me baigne et, quel que soit le temps je cours vers l’eau et je saute dedans.. mais avec un shorty, je triche ! Vous savez, je déteste le vin chaud et pourtant Jean-Louis en fait vraiment, on le boit et on heureux.
L’année prochaine j’y retourne !
.
P367, Cyrian (à propos de Maëlle et de ses parents) : «J’avais sous-estimé le pouvoir des fantômes. Vivants, elle les aurait peut-être quittés un jour. Morts, elle ne pouvait plus s’embarquer loin d’eux.»
A-t-on tous nos fantômes, qui parfois nous empêchent d’avancer ?
Lorraine Fouchet : On a tous nos fantômes et je dirais même que parfois ils nous aident beaucoup.
Mon père est mort d’un infarctus quand j’avais 17 ans, il a toujours été d’accord avec moi (puisqu’il n’était plus là). Son amour, couplé à son absence, m’a aidée et protégée. Depuis mon roman J’ai rendez-vous avec toi, livre dans lequel j’imagine une conversation avec mon père, j’ai lâché sa main et avancer libre c’est bien aussi. Renouer le dialogue avec lui, même quarante ans après sa disparition, m’a faite grandir. Groix fait grandit aussi, on l’appelle l’île aux grenats ou l’île aux sorcières, mais ce sont des sorcières malicieuses et bienveillantes, des fantômes positifs même s’ils chamboulent et tourneboulent.
Lou dit : «Ce ne sont pas les enfants ou les petits-enfants qui rendent heureux, c’est l’amour qu’ils génèrent, dont on les entoure, qui nous imprègne.
On ne sait pas de quoi on meurt, mais on peut décider comment on vit.»
Le bonheur est-il un but ultime ou une façon de vivre ? Quelle est votre recette du bonheur ?
Lorraine Fouchet : Le bonheur est un bonus, une chance et une fulgurance !
Je n’ai pas d’enfants mais j’ai écrit dix-sept livres, je suis entourée d’enfants et d’amis, j’aime transmettre, j’aime donner confiance lorsque je suis invitée dans une école pour parler de mes livres. Je leur dis «si vous avez envie de faire quelque chose, vous pouvez le faire, il faut juste travailler». Il faut chercher son bonheur et se battre pour.
Un ami m’a dit un jour «On est tous sur le pont du Titanic, mais on peut choisir sa danse et sa musique». Chacun de nous est le skipper du bateau de sa joie.
..
Lorraine Fouchet : J’ai fait mienne la devise de mon père, Christian Fouchet :
«La vie est trop courte pour être petite».
Je l’ai écrite un jour en exergue d’un livre. Ca ne veut pas dire que pour avoir une grande vie il faut être connu, ca veut seulement dire qu’il faut aimer, créer, partager, transmettre et vibrer. Oser, risquer. J’ai osé changer de vie à quarante ans et poser mon stéthoscope pour écrire «H24», c’était un peu dingue, je ne l’ai jamais regretté.
.
Vous qui êtes écrivain, quels auteurs lisez-vous ?
Lorraine Fouchet : Grégoire Delacourt que j’adore, Tatiana de Rosnay, Antoine Laurain (Le chapeau de Mitterrand). J’aime aussi des livres drôles comme ceux d’Agnès Abécassis. Ou des polars de Fred Vargas ou Sophie Hénaff.
.
Quel est votre dernier coup de cœur ?
.
Lorraine Fouchet : J’avais adoré Le bruit des clés d’Anne Goscinny, un tout petit livre paru chez Nil (un livre aussi beau et essentiel que Quand j’avais cinq ans je m’ai tué d’Howard Buten). Anne est la fille de René Goscinny, elle a perdu son père très jeune, sa mère jeune et pourtant elle a du goût pour la vie, du goût pour les choses, de la délicatesse et de la nostalgie. Elle sort le 15/04 Le sommeil le plus doux chez Grasset ; ne le manquez pas !
Sinon, je viens de finir Mariages de saison de Jean-Philippe Blondel, excellent.
.
Lorraine, je vous remercie pour le temps précieux que vous avez bien voulu m’accorder et pour la valse des sentiments générée par la lecture d’Entre ciel et Lou.
,
.
Lorraine Fouchet est sur Facebook
Pour lire ma chronique sur Entre ciel et Lou
Je l’ai adoré !!!
Ca ne m’étonne pas, tant mieux !
Quelle jolie interview! Vous nous faites voyager dans l’espace tout comme dans les sentiments, merci 🙂
Exactement ! Une belle rencontre au goût d’aventure, c’est si bon.
Merci, Caroline, nous avons passé un délicieux moment tous les quatre : vous, l’île de Groix, le cocker Uriel à mes pieds, et moi.
Merci pour l’échange, la joyeuse récréation, la pause salutaire, la musique de vos questions.
C’est moi qui vous remercie Lorraine, c’est un honneur d’avoir pu recueillir vos confidences.
J’ai l’impression de mieux vous connaitre et je vous imagine en train d’écrire, c’est très agréable.
Mais surtout j’ai tellement envie d’aller sur l’île de Groix maintenant !
Une caresse pour Uriel 🙂